Notre ami Luc a retrouvé un texte d’André Jolivet, qui mérite la reproduction.
Justement au moment où Opal Sinfonietta répète le triple concerto, opus 56. Beethoven vu par André JOLIVET
Il y a le mouvement des astres.
Il y a la lumière du soleil.
Il y a les volcans, les moussons, les orages, les marées.
Il y a la montée de la Sève au printemps.
Il y a le chêne, le roc, le taureau, le lion.
Il y a Beethoven.
Un homme de stature ramassée, vigoureuse, à l’ossature puissante. De fortes mains, couvertes de poils, avec des doigts au bout épaté. Un visage rude, le front haut et large, les cheveux noirs, hirsutes, partagés en grosses mèches hérissées. Le nez court, carré. Les lèvres serrées – mais le trait de la bouche n’est pas rébarbatif.
Les yeux.
Des yeux extrêmement vifs, perçants quand ils regardent fixement, souvent rêveurs. Des yeux de feu, profonds et animés d’une vie extraordinaire. De beaux yeux reflétant des pensées et des impressions qui se succèdent rapidement, gracieuses, arrogantes, farouchement aimables, menaçantes de fureur, terribles. Un sourire d’enfant, des éclats de rire énormes. Un être impulsif, détestant toute contrainte. Tour à tour, sinon à la fois, brutal et tendre, violent et cordial, grossier de langage et pur de mœurs, indomptable et rigoriste, orgueilleux et humble, méprisant les hommes et ne pouvant se passer d’eux, égoïste et charitable.
Négligé dans sa tenue, gaffeur dans son attitude, il est adulé. Elégant (cela lui arrive parfois), aimable, il se voit repoussé. Sans cesse en action, sans cesse en mouvement. Bousculant tout, imposant son désordre, qui est un ordre plus complexe mais solidement agencé.
Exigeant pour les autres, encore plus pour soi-même. Sans ménagement ni pour son corps, ni pour son esprit. Entretenant sa puissance créatrice par des contacts quotidiens avec le sol, les arbres, les herbes, le ciel,
La Terre, l’Eau, l’Air.
Le Feu, il l’a en lui.
Voilà cette force de la Nature dont nous allons parcourir la destinée humaine.
(Ludwig van Beethoven, André Jolivet, éditions Richard-Masse, 1955)